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Depuis 2008, la loi française sur le statut juridique conféré aux cendres humaines, interdit de conserver les cendres d’un défunt chez soi. La mise en place de cette législation, due en grande partie à la montée de la crémation, s’accompagne de règles détaillant ce qu’il est possible de faire avec l’urne d’un défunt.

 

Contrairement aux idées reçues, disperser des cendres dans la nature est légal, hors voie publique, mais doit s’accompagner d’une déclaration écrite à la commune du lieu de naissance du défunt. Elles peuvent aussi être dispersées dans un « jardin du souvenir », un espace spécialement aménagé à l’intérieur des cimetières, ou directement en mer, à plus de 300 mètres des côtes. Mais si la famille du défunt souhaite conserver un lieu de sépulture, notamment pour s’y recueillir, il est possible de garder les cendres dans l’urne, et déposer celle-ci dans une case de columbarium, ou dans un caveau au cimetière, appelé « cavurne ».

 

En Allemagne, la réglementation est différente. Si la dispersion des cendres dans la nature est interdite, des sites spécifiques ont été créés pour proposer une sépulture en pleine nature.

Dans la « forêt cinéraire » de Sarrebruck, en Allemagne, l’idée est de proposer l’achat d’un arbre, sous lequel on va creuser et enterrer l’urne biodégradable contenant les cendres du défunt. L’endroit est symbolisé par une plaque nominative. © Allo la mort, ici la Terre

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Dans un article d’Anne-Marie Pailhès, maître de conférences à l'Université Paris-Ouest-Nanterre et spécialiste de l'histoire culturelle de l'Allemagne de l'Est, on peut lire que le concept de forêt cinéraire remonte au début des années 1990. L’idée d’Ueli Sauter, ingénieur suisse, était alors d'incorporer les cendres à la terre, pour recréer un « cycle naturel ». La toute première inhumation se fait en 2001, dans une forêt allemande. 

 

Depuis, le concept s’est développé en Suisse, au Luxembourg, et surtout en Allemagne, où près de 140 sites ont vu le jour. Un succès qui s’explique en partie par la dimension écologique de la démarche, mais aussi beaucoup par son intérêt économique.

 

En Allemagne, les frais liés aux funérailles sont très élevés - en moyenne 7000 euros, contre 4000 en France -, et les premiers tarifs proposés par Friedwald, hors frais de crémation, démarrent aux alentours de 800 euros. Le prix peut grimper jusqu’à 6000 euros, mais représente alors l’achat d’un « arbre familial », qui permet d’inhumer plusieurs urnes au même pied. 


Selon Anne-Marie Pailhès, l’expansion de ces forêts entraînerait même une « désaffection sensible pour les cimetières traditionnels » et « des difficultés financières pour les communes ». On peut lire dans son analyse, que le nombre d’enterrements traditionnels aurait baissé de 22 % depuis 1995, dans le seul cimetière d’Ohlsdorf à Hambourg.

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Dans son article, la chercheuse explique également que ce type de forêts permettrait aux familles d’éviter une « contrainte sociale forte en Allemagne », celle de « rivaliser dans l’entretien des tombes des défunts. » L’attrait pour ces nouvelles sépultures semble aussi se justifier par l’évolution des distances géographiques entre les familles.

 

Mais si l’arbre de la forêt cinéraire est présenté comme une sépulture totalement naturelle, vierge de toute trace minérale, l’action de l’humain y est pourtant bien visible. La forêt est un minimum entretenue par un garde forestier, les arbres tombés après des intempéries sont remplacés par de nouvelles essences, et la législation qui encadre le concept-même est très stricte. Un constat qu’Anne-Marie Pailhès décrit dans son article, en concluant : « Ainsi, les morts ne reposent-ils pas dans la nature vierge, mais dans une représentation qu’ils en ont, fidèle à la tradition romantique de la forêt allemande. »

Dans la forêt de Sarrebruck, jusqu’à vingt urnes peuvent être inhumées au pied d’un seul chêne. Elles sont enterrées à deux mètres de distance du tronc, pour ne pas abîmer les racines en creusant le trou. © Allo la mort, ici la Terre

En France, le concept de forêt cinéraire débute tout doucement, avec un premier projet pilote en Haute-Garonne, comme évoqué dans le troisième épisode d’ « Allo la mort, ici la Terre ». Mais bientôt d’autres villes pourraient rejoindre la démarche, comme Strasbourg, où l’association « Au-delà des racines », milite en faveur de leur installation.

En Moselle, dans le village de Kédange-sur-Canner, Jean Kieffer s’est inspiré de ce qu’il se fait outre-Rhin. C’est en étant confronté au problème de place dans le cimetière de sa commune, que le maire a eu l’idée d'aménager un cimetière forestier : « En Allemagne, c’est une approche totalement différente de la nôtre, une place importante est donnée à la nature, et je trouve que c’est intéressant de choisir ça, plutôt que d’amener encore des monuments », indique-t-il. Sur un terrain avoisinant le cimetière actuel, il souhaite ainsi planter 25 érables, sous lesquels des urnes pourraient être inhumées.

L’espace de 2000 m² sera bordé de haies vives, et le maire estime à une centaine, le nombre de concessions qui seront disponibles. « Il faut aussi offrir des possibilités de sépultures à d’autres personnes, qui ne souhaitent pas choisir la crémation, donc il y aura de la place également pour des sépultures classiques », précise Jean Kieffer. 

© Allo la mort,

ici la Terre

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Dans cette commune d’environ mille habitants, le maire a déjà reçu quelques demandes, également de personnes extérieures à la commune, qui souhaitent reposer plus tard dans ce futur cimetière. Pour lui, cette solution s’inscrit dans le prolongement de l’initiative « zéro phyto », que la commune a mis en place en 2019 en arrêtant l’usage des pesticides, et d’une politique de reboisement, qu’il souhaite également instaurer dans une partie du village.

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En plus d’une démarche écologique, Jean Kieffer y voit un atout économique important : « Ce type de sépultures n’implique pas de dépenses supplémentaires en terme de monuments pour la famille. Il est moins onéreux de substituer, pour le repos éternel, la nature aux ouvrages à caractère monumental », explique-t-il. Une étude avec l’Office national des forêts (ONF), est prévue dans le courant de l’année 2020, pour ouvrir le cimetière dès 2021.

 

Même si la crémation semble s’imposer de plus en plus dans le monde, d’autres techniques ont été imaginées, notamment pour limiter l’impact environnemental des pratiques actuelles. Elles mettent également en avant un traitement moins brutal de la dépouille, en opposition avec la crémation, qui peut être perçue comme un acte violent. Ces techniques, partiellement légalisées ou encore en phase de test, sont connues sous les néologismes suivants : l’aquamation, la promession et l’humusation.

 

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L’aquamation est une technique qui utilise le procédé physico-chimique d'hydrolyse alcaline. Le corps est placé dans une cuve, remplie d’une solution à base d’eau et d’hydroxyde de potassium, qui sera portée à 96° C. En une douzaine d’heures, les tissus sont dissous et se décomposent dans le liquide. Les os restants sont ensuite « pulvérisés » pour devenir de la poudre, qui sera placée dans une urne et rendue à la famille.

 

D’autres noms commerciaux ont été trouvés pour désigner cette technique, comme la bio-crémation et la résomation, bien que ces entreprises fassent appel au même procédé d’hydrolyse alcaline. À la seule différence que la résomation, brevetée en 2007 par une entreprise écossaise aux États-Unis, se fait à haute pression. La température est plus élevée, entre 150 et 180° C, et le processus est donc plus rapide. Dans les deux cas, l’eau n’est pas portée à ébullition, et il n’y a donc pas de dégagement de vapeur. 

François Michaud-Nérard est rapporteur du groupe de travail sur les nouveaux modes de sépulture, au Conseil national des opérations funéraires (CNOF). Il trouve ce procédé intéressant, et selon lui, il n’est pas improbable qu’il s’exporte en France : « C’est un procédé fiable, qui marche, et qui peut avoir une vraie valeur symbolique. De plus, ça demande des unités plus petites, et alors que l’installation des crématoriums est limitée, là, on pourrait installer ces unités un peu partout, plus proches des citoyens », explique-t-il. 

 

À contrario, l’anthropologue Élisabeth Anstett semble plus pessimiste quant à l’arrivée de cette technique en France. D’abord autorisée pour les restes anatomiques en milieux hospitaliers aux États-Unis, cette technique devrait déjà subir le même processus ici, avant de recevoir les autorisations pour le monde du funéraire. 

 

Elle ajoute qu’il faudrait que les eaux rejetées soient stériles, pour éviter une contamination, étant donné que l’on recycle nos eaux sales. « Sur certaines questions, nos comités d’éthique sont beaucoup plus raides et exigeants que d’autres pays protestants par exemple », précise-t-elle.

Mais la réelle question à résoudre sur le plan éthique, pour instaurer cette pratique, c’est le parcours de l’eau utilisée pour décomposer le corps. « La réalité, c’est que l’eau est jetée aux égouts, et le rapport des Français aux déchets est tel, que ça poserait une difficulté de fond », indique la chercheuse.

Le coût de l’acquisition d’une machine pour l’aquamation est compris entre 150 000 et 500 000 dollars, selon le mode de pression. © Bio-Response Solutions

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Développée par la docteure suédoise Susanne Wiigh-Mäsak en 1999, la technique de la promession, ou cryomation, consiste à congeler le corps du défunt pendant dix jours à -18° C. La dépouille est ensuite placée dans une cuve, remplie d’azote liquide à -196 °C, ce qui va permettre de rendre les tissus et les os friables. Le tout, va ensuite être réduit en poudre, par l’action d’une table vibrante.

 

Ce procédé impressionnant, qui a pourtant été mis en lumière par de nombreux médias dans le monde entier, ne serait toujours pas viable à l’heure actuelle. Selon l’antenne britannique du magazine The Wired, des corps attendraient depuis dix ans dans des congélateurs d’être décomposés, car la technique ne fonctionnerait pas. La Fédération des cimetières et crématoriums de Suède, interrogée par le magazine en 2013, confiait : « C'est très, très étrange qu'elle [Susanne Wiigh-Mäsak, ndlr] puisse encore vendre ce qui n'est qu'une idée, je ne pense même pas qu'elle l'ait fait sur un animal. »

© Captures d’écran d’une vidéo

explicative du procédé de

promession, que l'on trouve sur le site promessa.se.

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L’idée de départ de la scientifique suédoise était pourtant d’inventer une technique complètement écologique, et d’utiliser la poudre comme fertilisant pour faire pousser des arbres. Elle expliquait pour The Wired : « Nous ne voyons pas le cadavre comme une fin. Bien traité, le corps supportera quelque chose de nouveau, la vie continuera. »

Mais pour Élisabeth Anstett, ce procédé a un coût écologique et financier colossal : « C’est une fiction. L’azote liquide coûte très cher à fabriquer, les quantités nécessaires pour le traitement de plusieurs corps sont tellement importantes qu’elles demandent l’installation d’un complexe industriel. » Une aberration selon l’anthropologue, qui découle d’une obstination de la part de la docteure. « Il y a une forme de paradoxe dès le départ de penser qu’un traitement industrialisé lourd, et l’utilisation de produits chimiques va être plus écologique », ajoute-t-elle.

Une dimension importante, qu’évoque Élisabeth Anstett dans son article « Les funérailles “bio”. La mort et les idéologies environnementales au XXIe siècle », c’est la « mécanisation et la standardisation des pratiques de traitement de la dépouille mortelle, dans les phases de stockage, de transport et d'incinération notamment [...] ». Ces techniques qui tentent d’introduire plus d’écologie dans leur processus ne pourrait, ainsi, s’affranchir de cette étape d’industrialisation. Pour le moment.

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